Terrorisme : contestation de l’ADAP face aux projets de réforme

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  • Note de Christian SAINT-PALAIS, suite à son audition par la Commission des Lois du Sénat, le 13 décembre 2016

L’ADAP était consultée ce 13 décembre par le rapporteur la commission des lois du sénat, l’ancien garde des sceaux Michel Mercier, sur la proposition de loi relative à la composition de la cour d’assises spéciale (article 698-6 du CPP).

J’ai été reçu en même temps que des confrères représentant le CNB et l’Ordre de Paris.

J’ai exprimé, au cours de cette réunion, ma désapprobation envers ce projet.

Celui-ci tend à faire passer le nombre d’assesseurs de 6 à 4 en 1 ère instance et de 8 à 6 en appel.

Il nous faut bien constater et déplorer que plus aucune réforme n’est motivée par l’objectif d’améliorer la qualité de la justice pénale; elles sont toutes dictées par une préoccupation, désormais revendiquée, « d’efficacité », entendre  » gestion de flux de dossiers ».

La compétence de la cour d’assises spéciale pour les affaires de terrorisme et de trafic de stups en BO résulte de la loi du 9 septembre 1986 qui avait essayé de tirer les conséquences de la défection de plusieurs jurés tirés au sort pour siéger dans des affaires sensibles.

Depuis lors ce sont 7 juges qui examinent ces affaires (le président et 6 assesseurs) alors que 12 personnes les jugeaient avant cette réforme (3 magistrats professionnels et 9 jurés).

Le projet actuel envisage de ramener à 5 le nombre de juges ( président et 4 assesseurs) aux motifs que le parquet « criminalise » beaucoup plus de procédures et que les juges ne peuvent, sans cesse, quitter leurs fonctions, leur bureau, pour siéger à la cour spéciale.
Soit.

Mais il ne faut pas perdre de vue que ce sont les affaires les plus graves qui sont audiencées devant cette cour, celles où le risque pénal est le plus important. Il ne peut donc pas s’agir d’affaiblir les droits de La Défense Ni de porter atteinte à la qualité des décisions qui y sont rendues pas davantage qu’à leur autorité. Les parties civiles elle-mêmes peuvent être attachées légitimement à ce que le procès consacré aux faits dont elles se disent victimes n’ait pas l’image d’une audience  » au rabais ».

Certes on pourrait considérer que le nombre de juges est indifférent à la qualité d’une décision judiciaire. Pourtant, chaque fois qu’une décision importante doit être rendue, le nombre de juges augmente – comme c’est le cas en cour d’assises d’appel -, car on considère que la multiplication de regards croisés sur une situation peut permettre d’aboutir à une analyse plus fine et donc à une décision de justice plus juste.

L’actualité nous a rappelé que la CJR est composée de 15 membres pour juger une prévenue passible d’une année d’emprisonnement (3 magistrats, 12 parlementaires juges).

Et on prétendrait sans conséquence que les affaires criminelles qui ont causé une émotion considérable dans le pays ne soient plus jugées que par 5 magistrats étant rappelé que la majorité qualifiée prévue à l’article 359 du CPP ne s’applique pas devant la cour spéciale (article 698-6 CPP: majorité simple y compris pour les décisions défavorables à l’accusé).

C’est donc par 3 voix seulement que pourra être retenue la culpabilité, 3 voix pour écarter les moyens de défense, 3 voix pour prononcer la réclusion criminelle à perpétuité.

C’est un recul que nous ne pouvons accepter.

A titre personnel, je considère que l’argument selon lequel les jurés citoyens ne pourraient pas siéger dans les affaires de terrorisme n’est plus recevable – a fortiori dans les affaires de stups-. D’abord parce que je ne crois pas qu’il y ait un danger particulier à siéger dans ces dossiers, ensuite parce que c’est toute la collectivité qui doit prendre en charge la lutte contre le terrorisme mais aussi la difficile mission de juger les mis en cause.

Pour ma part, je ne serais donc pas opposé à ce que des jurés viennent compléter la composition de la cour d’assises spéciale -si on devait considérer que les magistrats n’ont plus le temps d’y venir- de façon à ce que ces affaires graves soient jugées dans des conditions qui répondent aux attentes des accusés et des parties civiles ainsi qu’aux exigences d’une bonne justice.

Je vous laisse imaginer si de telles réflexions ont pu faire bouger les lignes au sénat… Mais Haut les coeurs! Car ce n’est certainement pas le dernier projet contre lequel nous aurons à nous dresser.